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Au commencement était...
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26 février 2008

Matinée de frayeur à Ngousso

une_barricade

 Il est 8h 25 à Ngousso ce 26 février 2008, 2ème jour de grève générale des transporteurs du Cameroun. Au lieu dit « Carrefour hôtel le Paradis », un groupe de jeunes gens a dressé une barricade faite de pneus, de bac à ordures, de kiosques et de planches. Ces jeunes disent être solidaires des transporteurs qui protestent contre la vie chère. Ils ont constaté que les motos taxi et les voitures personnelles prennent la relève des taxis et ont donc décidé qu’aucune voiture ne passera plus par là. Ils mettent d’ailleurs le feu à la barricade pour signifier leur sérieux.

Les populations riveraines quant à elles adhèrent à ce mouvement de protestation. Amassées le long de la route, elles lancent des mots d’encouragement et applaudissent de temps en temps. Une dame rentrant du marché et souhaitant garder l’anonymat déclare que : « le coût de la vie est devenu très élevé. On dit que ce sont les blancs qui imposent l’augmentation du prix du pétrole. Est ce que ce sont les blancs qui augmentent aussi les taxes ? Qui augmentent le prix du riz, de la viande, de la tomate ? Nous sommes six personnes à la maison. Avant je faisais mon marché avec deux mille maintenant il me faut au moins cinq mille par jour pour nourrir ma maisonnée.. Il faut qu’on barre les routes comme ça pour que les gens d’en haut sentent que ça ne va pas ici en bas ».

Les démolisseurs n’hésitent pas à affronter les forces de l’ordre

Cinq minutes plus tard, un véhicule s’amène et tente de forcer la barricade. La foule scande « cailloux, cailloux » et une tonne de cailloux tombe sur la voiture. Pour tenter de sauvegarder son bien, le conducteur n’a que le choix de rebrousser chemin. Même scénario pour toute moto qui essaie de passer. Les esprits s’échauffent de plus belle et le groupe de pyromanes s’agrandit. Plusieurs voitures perdront ainsi leurs pares-brises sous les applaudissement de la foule qui crie « voleurs, voleurs, voleurs ».

Soudain une voiture blanche de marque Toyota Corolla arrive, un groupe de jeunes s’avance avec des cailloux pour démolir la voiture lorsqu’ils s’aperçoivent qu’elle est bondée d’hommes tout de noir vêtus. S’en suit un scénario à la James Bond. Pendant que le chauffeur tourne la voiture, la portière arrière s’ouvre, deux bras attrapent l’un des pyromanes, le tire à l’intérieur de la voiture, la portière se referme et la voiture démarre en trombe. Personne n’ose plus élever la voix. La manœuvre n’a durée qu’une minute mais elle s’avère persuasive car pyromanes et spectateurs prennent la fuite, surtout qu’un bus de transport en commun arrive à son tour et se gare. Des hommes en tenue militaire descendent et tentent de démolir la barricade pour libérer le passage. La foule qui avait commencé à se disperser se ressaisie et tente un bras de fer avec les forces de l’ordre. Il s’en suit un échange de coup de matraques et de cailloux. L’air est soudain lourd, les yeux sont piquants. Policiers et civils ont les yeux larmoyants. Pour tenter de disperser la foule un policier aurait aspergé du gaz lacrymogène. Un policier gronde : « avant de lancer le lacrymo il faut souvent vérifier la direction du vent » . Les policiers profitent de la brève accalmie pour chercher de l’eau dans une laverie située au carrefour hôtel le Paradis. Après s’être abondamment lavé le visage, le processus de dispersion peut continuer. Même les agents d’Hysacam, une société chargée de nettoyer la ville, sont mis à contribution. Ils sont priés d’emporter leur bac à ordure et d’enlever les pneus calcinés.

 8h55 : les forces de l’ordre ont réussi à rétablir la tranquillité. La répression fut pacifique puisqu’on ne dénombre ni blessés ni morts. L’un des militaires déclare : «  les gars on fonce, il y a un autre mouvement aux rails ».

Tout n’est pourtant pas joué car une fois les forces de l’ordre partis, le groupe de jeunes se reforme, la barricade est une fois de plus dressée et les violences sur les véhicules et motos recommencent. Une dizaine de minute après la reprise des casses, une grosse voiture ayant pour préfixe d’ immatriculation « SN », se gare. Un homme en descend et ouvre la portière arrière. Un autre homme tout de noir vêtu descend à son tour. Il s’avance , talkie-walkie à la main, sur ses épaules, 6 étoiles dorées imposent le respect. Sur sa poitrine, ses noms et grade permettent de constater qu’il s’agit d’un commissaire divisionnaire. Très sûr de lui, il s’approche de la barricade qui est immédiatement désertée. Ses éléments s’empressent de dégager la chaussée et de rétablir la circulation. Au fur et à mesure qu’il avance la foule s’écarte. Soudain il s’arrête et pointe un jeune homme du doigt : «  toi viens ici ». Le jeune homme indexé prend immédiatement ses jambes à son cou et disparaît dans le quartier. Cette interpellation fait partie des seuls mots que le Commissaire Divisionnaire prononcera. Accompagné de deux gardes du corps, il fait le tour de la zone. Il entre dans le quartier, arpente les ruelles, inspecte, regarde, fouille du regard puis ressort du quartier indemne. Il ne se passe rien mais il y a quelque chose dans l’air. La foule, très active quelques secondes plus tôt est comme pétrifiée. Le Commissaire semble charismatique car sur son passage, les lieux se vident. Il est calme, posé et ne dit rien. Point besoin de gaz lacrymogène ni de matraques , sa présence est suffisante pour disperser la foule et stopper instantanément les murmures. Il remonte dans sa voiture et s’en va. Les riverains eux, continuent tranquillement de vaquer à leurs occupations. Les barricades et les cailloux semblent n’avoir jamais existé. Tout est tellement calme qu’on a l’impression d’avoir rêvé ces affrontements.

 Anne Mireille Nzouankeu

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